Daniel Cohn-Bendit pousse l’hypothèse Bayrou à Matignon. Il soutient cette solution à la crise politique actuelle après y avoir réfléchi avec Zaki Laïdi, professeur à Sciences Po Paris. Les deux hommes l’affirment noir sur blanc dans une note confidentielle – que Le Point a lue – et qu’ils viennent d’adresser à Emmanuel Macron et François Bayrou. Plausible ? Daniel Cohn-Bendit avance ses arguments au Point.

Le Point : Comment sortir de la chienlit politique dans laquelle la France s’enfonce ?

Daniel Cohn-Bendit : Je ne sais pas si on peut parler de chienlit, mais en tout cas la France est prise dans un gouffre politique. Et le responsable en est le président de la République avec sa dissolution intempestive, non préparée, qui a entraîné sa défaite aux élections et dont il n’a pas su tirer les conséquences. Emmanuel Macron s’accroche à vouloir rester maître du jeu politique, alors qu’il ne l’est plus. Le maître du jeu, c’est le Parlement, et je précise que ce fut une prérogative que lui a donnée de Gaulle dans la version de la V^e République de 1958 à 1962. Le maître du jeu ne peut pas être celui qui a ouvert ce gouffre politique.

C’est pourquoi l’idée de Lucie Castets Première ministre se défendait, puisqu’elle était présentée par des forces politiques arrivées en tête aux élections. Emmanuel Macron aurait dû la nommer tout de suite. Lucie Castets se serait présentée avec un gouvernement Nouveau Front populaire (NFP) devant le Parlement et les députés l’auraient censurée ou pas. En tout cas, il y aurait eu clarification. Cela n’a pas été le cas. Ce fut une erreur de plus dans la chaîne des erreurs commises par le président de la République. Il est évident qu’un gouvernement défendant le programme NFP avec ou sans ministres issus de La France insoumise (LFI) aurait été censuré.

François Hollande dans Le Point qualifie le rejet de Castets par Emmanuel Macron de « faute institutionnelle ». Vous partagez cet avis ?

L’argument de François Hollande s’entend. Il est dans la logique de la V^e République, par laquelle le président de la République nomme le Premier ministre. Emmanuel Macron aurait dû nommer Lucie Castets à Matignon tout de suite après les élections, ce qui aurait permis aux forces politiques de prendre des décisions difficiles et les aurait obligées à proposer une alternative. Ce qui est dérangeant, c’est que tout ce que dit Emmanuel Macron aujourd’hui était déjà vrai quand il avait une majorité relative. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps, et avoir procédé à la dissolution, alors même qu’il aurait pu nommer un Premier ministre à la tête d’une coalition dès le départ ? C’est incompréhensible. À force de procrastiner, on s’enfonce dans le brouillard.

Bayrou, en vieux renard politique, aurait le savoir-faire pour proposer un gouvernement avec des personnalités fortes qui n’aient pas la tête dans la présidentielle 2027

Vous pensez vraiment que l’hypothèse de Castets en Première ministre était sérieuse ?

Oui, c’était sérieux, et cela correspond surtout à la situation politique d’aujourd’hui. Le Nouveau Front populaire est la coalition politique la moins minoritaire au Parlement, il lui revient donc de trouver une majorité. Parfois, c’est l’habit qui fait le moine. Huit jours avant que Joe Biden se retire de la compétition présidentielle aux États-Unis, les commentateurs mettaient en cause la crédibilité de Kamala Harris. En trois semaines, elle a démontré le contraire. Qui peut dire trois mois avant que telle ou telle personne sera incapable d’être Premier ministre ? Emmanuel Macron, en devenant président, avait fort peu d’expérience, et Gabriel Attal en arrivant à Matignon aussi. Bon, le président n’a pas retenu l’hypothèse Castets. Maintenant, passons à autre chose.

À une hypothèse Bayrou, comme vous le défendez dans la note que vous avez rédigée avec Zaki Laïdi et envoyée à Emmanuel Macron ?

Nous essayons de comprendre la possibilité d’un Premier ministre dont la tâche primordiale ne serait pas de trouver une majorité politique, mais de dégager une ligne politique qui empêcherait que le gouvernement soit censuré. Il s’agirait de faire émerger un pouvoir qui permettrait de confronter des intérêts contradictoires afin de régler le problème du vote du budget et de proposer une réforme électorale qui introduise la proportionnelle, comme Mitterrand le fit en 1986, ce qui permettrait de libérer les forces de gauche de l’obligation d’un accord avec LFI.

François Bayrou, c’est un vieux renard politique, il aurait le savoir-faire pour proposer un gouvernement de centre gauche et de droite avec des personnalités fortes qui n’aient pas la tête dans la présidentielle 2027 – ce serait la condition sine qua non pour y participer. Un gouvernement Bayrou peut geler la réforme des retraites, et s’attaquer à une réforme de la loi électorale.

Serait-il un Premier ministre à part entière ?

Nous pensons qu’il pourrait être un préfigurateur. Dans plusieurs pays, après les élections, en Belgique ou aux Pays-Bas notamment, on nomme ainsi des formateurs afin de constituer des coalitions gouvernementales. François Bayrou serait prévu comme Premier ministre, mais il ne serait effectivement nommé que dans les deux semaines après avoir proposé un gouvernement de personnalités. Bayrou, certes, fait partie de la majorité sortante, mais il peut avoir l’écoute du centre gauche et du centre droit et ne pas être considéré ni par Mélenchon ni par Wauquiez comme un concurrent. Et il aurait le savoir-faire pour sortir le pays de l’impasse politique dans lequel il se trouve. Après les Jeux olympiques, la majorité des Français et des Françaises ne veut plus que l’on joue indéfiniment le jeu du « je ne peux pas travailler avec untel » .

Sans majorité absolue, on va continuer à jouer à cache-cache pendant deux ans et mettre en orbite Marine Le Pen

François Hollande, dit-il au Point, ne croit pas à une alliance avec le centre. Et vous ?

François Hollande a tort. Si, en France, on ne comprend pas que quand on n’a pas de majorité absolue, il faut faire des compromis avec des forces politiques qui sont concurrentes mais pas adversaires, alors on restera indéfiniment dans l’impasse. Sans majorité absolue, on va continuer à jouer à cache-cache pendant deux ans et mettre en orbite Marine Le Pen. Il faut que les centres, la gauche et la droite républicaine s’obligent à négocier.

François Bayrou est-il en capacité de donner un nouvel élan au quinquennat ?

Mais le nouvel élan, c’est fini ! Tout cela est mort avec la dissolution. Nous devons sortir de l’impasse politique, c’est le plus urgent. Bayrou aurait l’indépendance intellectuelle et l’autonomie politique nécessaire pour que la fin du quinquennat ne soit pas qu’un canard boiteux. Outre le budget et la réforme électorale, l’Europe, l’Ukraine et le Moyen-Orient ont aussi un rendez-vous avec la France !