« C’est la plus forte coupe de la loi de finances ! » annoncé par Le Point – Politique le
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En progression budgétaire constante depuis 2017, et après une première baisse en 2024, l’Agence française de développement (AFD) se prépare à un coup de massue pour la coopération internationale. Dans le projet de loi de finances 2025 actuellement débattu à l’Assemblée nationale, la mission « aide publique au développement » devrait voir son budget amputé de 2 milliards d’euros, soit près d’un tiers de son enveloppe actuelle de 6 milliards. Une coupe drastique qui fait de l’aide extérieure l’enveloppe la plus durement touchée de tous les budgets de l’État.
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Un non-sens pour Rémy Rioux, son directeur général, qui sort de sa réserve pour lancer un cri d’alarme contre une mise à la diète qu’il juge incohérente et contre-productive. Ce haut fonctionnaire proche du président, ancien négociateur de l’accord de Paris sur le climat, doit être auditionné ce 6 novembre par les députés et les sénateurs. Et il entend défendre l’utilité et l’efficacité de cette politique publique, bec et ongles.
Le Point : L’AFD fait face à une coupe budgétaire historique. Pouvez-vous nous en préciser l’ampleur ?
Rémy Rioux : Il ne s’agit pas seulement du budget de l’AFD, mais de la mission « aide publique au développement » dans son ensemble. D’un peu plus de 6 milliards d’euros cette année, elle perdrait 2 milliards l’année prochaine. Ce budget serait amputé de plus d’un tiers, la plus forte coupe de la loi de finances 2025, et plus encore pour le seul budget du ministère des Affaires étrangères. Une baisse inédite, qui me semble excessive. Ces montants concernent l’action multilatérale, comme nos contributions à la Banque mondiale, au Fonds mondial de lutte contre le sida ou aux agences de l’ONU, et aussi nos instruments dits bilatéraux, principalement le budget confié à l’AFD.
Depuis 2017, l’aide internationale est passée de 10 à plus de 15 milliards d’euros, faisant de la France le 5e bailleur mondial, selon l’OCDE. En a-t-elle encore les moyens ?
Il faut se féliciter que la France tienne ses engagements internationaux et ait réussi à allouer plus de 0,5 % de sa richesse à la solidarité internationale. En 2023, nous sommes en réalité en 6e position en montant total et en 11e en part du revenu national, ce qui correspond bien, je crois, à la place de la France dans le rang des nations.
Pourquoi s’en féliciter ? Parce que nous vivons dans un monde de plus en plus complexe et fragmenté où notre pays doit impérativement disposer d’une capacité de coopération correspondant à ses capacités diplomatiques et de défense. La politique de développement est essentielle pour tisser des liens d’amitié et d’entraide entre notre pays et tous ceux qui veulent coopérer avec lui. Ce n’est pas juste un supplément d’âme, mais une condition de notre prospérité et de notre sécurité.
Et puis comparons ce qui est comparable. Sur ces 15 milliards d’euros, 2,5 alimentent le budget européen et 3,5 sont des dépenses enregistrées sur le territoire français principalement pour l’accueil des étudiants étrangers et des réfugiés. Notre vraie capacité d’action directe à l’étranger, ce sont les 6 milliards de la mission « aide au développement », aujourd’hui menacés. C’est-à-dire à peu près autant que le budget que l’État consacre à l’administration pénitentiaire, lui-même très contraint. Est-ce vraiment excessif pour que la France conserve sa voix et son influence dans le monde ? Je ne le pense pas.
Quel est l’impact concret de votre action ?
L’AFD démultiplie l’argent budgétaire de façon spectaculaire. Sur ces 6 milliards d’euros, l’AFD en reçoit 2, qu’elle démultiplie en empruntant sur les marchés pour faire 12 milliards de financements chaque année. Quatre mille projets concrets sont en cours de réalisation, partout dans le monde et d’abord en Afrique. Ils ont permis en 2023 à 70 millions de personnes d’accéder à des soins, la construction de 4 000 km de routes, l’accompagnement de 13 000 PME, l’installation de 3 800 mégawatts d’énergie renouvelable… L’essentiel des projets que nous finançons l’est sous la forme de prêts à taux préférentiel, avec un effet multiplicateur de plus de six pour un euro d’argent public. Ces investissements bénéficient aussi significativement aux entreprises françaises : elles remportent 50 % des marchés conclus sur des financements de l’AFD, y compris lorsque les fonds proviennent d’autres financeurs. L’AFD est devenue le premier partenaire de la Banque mondiale avec plus de 25 milliards de dollars de cofinancements depuis mon arrivée. C’est autant qui est accessible aux acteurs français, avec de nombreuses créations d’emplois à la clé.
L’AFD joue-t-elle aussi un rôle diplomatique ?
Bien sûr, et ce rôle est crucial. L’AFD prépare et approfondit notre action diplomatique. Notre mission, c’est, au fond, de faire de vrais amis à la France, partout dans le monde et dans la durée, en nous intéressant à leurs attentes et en bâtissant un intérêt mutuel. Je reviens du Maroc avec le président de la République, le premier pays d’intervention de l’AFD. J’y étais allé il y a un an, en pleine brouille, pour entretenir le dialogue avec le ministre des Affaires étrangères, et lui proposer d’investir dans les provinces du Sahara occidental, ce que vient d’annoncer le président Macron. De même, au Rwanda, j’avais rencontré le président Kagame dès juin 2019 et nous avions repris nos investissements, en particulier dans la formation professionnelle, pour préparer la visite présidentielle de mai 2021 qui a scellé notre réconciliation. En Ukraine, une agence du groupe AFD a ouvert ses portes cette année. Je pars en Afrique du Sud cette semaine, dans le pays qui présidera le G20 l’année prochaine et où l’AFD a été la première institution à ouvrir un bureau il y a 30 ans, juste après la visite du président Mitterrand au président Mandela. C’est au Cap que nous organiserons en février prochain le sommet Finance en Commun (FiCS), qui réunit toutes les 530 banques publiques de développement du monde.
Comment justifiez-vous l’action de l’AFD en Chine, parfois critiquée ?
Il faut comprendre que notre action en Chine ne coûte rien au contribuable français : l’AFD lève de l’argent qu’elle prête ensuite à la Chine au taux du marché. L’expérience de la France sur les questions environnementales est réputée et recherchée partout dans le monde, notamment en Chine où nous travaillons depuis vingt ans. Quand l’AFD y appuie un projet de qualité, l’année d’après, ce sont 50 autres projets du même type qui sont répliqués partout dans le pays. Cet effet démultiplicateur est d’autant plus utile que nous n’intervenons en Chine que dans les domaines du climat et de la biodiversité. Pourquoi se priver de ce lien et de ce dialogue concret et positif ?
La situation budgétaire est difficile. Comment pensez-vous convaincre les députés d’empêcher cette coupe ?
Le contexte budgétaire est difficile et nous devons tous faire un effort pour être plus efficaces encore et préserver la qualité de la notation de la France sur les marchés. Une solution existe. Comme le proposent des parlementaires de tous les bancs, je préconise d’aligner le taux de notre taxe sur les transactions financières, aujourd’hui de 0,3 %, sur celui de la même taxe à Londres et à Francfort, soit 0,5 %, pour alimenter le Fonds de solidarité pour le développement. Cela rapporterait environ 1,5 milliard. Je me souviens que cette taxe a été promue sur le plan international par le président Jacques Chirac, introduite en France sur proposition du gouvernement de Lionel Jospin et réellement mise en place par le président Nicolas Sarkozy. À l’heure où le débat sur l’architecture financière internationale et sur les taxes globales est revenu en force au sein du G20 et à l’ONU, la France pourrait ainsi maintenir son leadership dans le domaine du financement du développement en 2025, année du 10e anniversaire de l’accord de Paris sur le climat.
Quel message souhaitez-vous faire passer aux parlementaires ?
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Je m’en remets, bien sûr, à la sagesse du gouvernement et du Parlement, qui, je le rappelle, a voté une loi de programmation sur le développement à l’unanimité en 2021. Une baisse de plus de 33 % de notre budget aurait immanquablement un impact très négatif sur les populations des pays les plus vulnérables et sur notre capacité à lutter réellement contre le changement climatique avec les pays émergents.
Il faut cesser d’opposer climat et développement, et changer de focale en abandonnant les terminologies du passé. Le vieux monde de l’aide publique au développement est révolu. Aujourd’hui, nous préférons parler d’investissement solidaire et durable. Car d’un investissement on attend un retour. Nos concitoyens savent que des enjeux majeurs tels que l’immigration, la lutte contre le réchauffement climatique ou la préservation de la biodiversité doivent être envisagés au-delà de nos frontières nationales. Quand on investit au Kenya dans la géothermie ou en République démocratique du Congo dans les forêts, c’est positif, plus rapide et moins coûteux pour le climat que de réduire nos émissions en France. Et cela contribue à stabiliser des pays sous tension en créant chez eux des emplois qui fixent leurs populations. Investir pour un monde plus solidaire et durable est dans l’intérêt de la France.
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